Interview avec Nicolas Favresse

Photos: Hubert Canart, Laurens Put & Tintin

Très difficile de ne pas en parler... Il devient même le centre de toutes les conversations quand l'actualité aidant, c'est son nom qui est porté à l'avant-plan. A différentes reprises lors de ce premier trimestre 2002, Nicolas Favresse s'est illustré pour montrer à tous que l'escalade, ça se vit de bien des façons. Pour lui, réaliser Le Clou à Freyr a tout autant d'importance que gagner les Championnats de Belgique.

Raison de plus pour le rencontrer et découvrir quelles sont ses souvenirs, ses aspirations, ses projets. Rencontre!

Les débuts

BCN: Explique-nous tes débuts en escalade. Qu?est-ce qui t?a amené à en faire?

NF: Dès mon enfance, j?étais passionné par les forces de la nature et par l?envie de pouvoir les maîtriser. La mer, le vent, les montagnes, les arbres et les rochers m?attiraient énormément. J?ai donc toujours eu la volonté de grimper du rocher mais je n?en avais pas eu l?occasion. Par contre, j?avais déjà découvert d?autres sports qui me plaisaient bien et que je pratiquais régulièrement (planche à voile, voile, VTT, ski de randonnée, un peu de spéléo).
Plusieurs fois, j?ai eu l?envie d?en pratiquer mais l?expérience d?un de mes cousins m?a dissuadé lorsque celui-ci m?a dit qu?il en avait pratiqué mais qu?il avait décidé d?arrêter car c?était un sport trop dangereux et donc réservé exclusivement à des marginaux ou experts.
C?est grâce à un copain de classe qui se ventait de faire de l?escalade que j?ai découvert ce sport. En effet, il s?était tellement venté que j?en avais eu marre et j?ai parié de le battre à ma première séance. Mon pari a finalement échoué mais il ne me manquait que très peu!
Dès ma première séance, ça a été comme une drogue dont je ne pouvais me passer. De plus cette année-là, il y a eu beaucoup de grèves dans l?enseignement ce qui m?a permis de bien rentabiliser mon abonnement à New Rock. Après 4 mois j?ai fait du 7a, après 6 mois du 7c et après 1 an du 8a.

BCN: As tu été influencé ou es-tu influencé par un grimpeur en particulier?

NF: J?ai été influencé par beaucoup de grimpeurs mais pas spécialement par un en particulier. Chris Sharma, Ben Moon, Fred Nicole, Wolgang Gulish, Klem Loskot, Dave Graham, Alex Huber, Patrick Edlinger sont de grandes influences pour moi mais je pense qu?on est encore plus influencé par les grimpeurs avec qui on grimpe. Chaque grimpeur à son style, sa motivation, sa vision par rapport à l?escalade. Chaque rocher à son style, ses exigences et caractéristiques. Ce sont toutes ces influences qui constituent la richesse de ce sport et qui nous permet de nous rapprocher le plus possible de ce qu?est réellement l?escalade. C?est donc au travers de mes voyages que ma vision de l?escalade a fortement évolué et m?a permis de découvrir de nouvelles facettes de ce sport.

La Belgique... et le reste du Monde

BCN: Ton premier 8c, tu l?as réussi aux States. Les forts grimpeurs de là-bas sont de véritables idoles pour tous. Selon toi, qu?est-ce qui les différencie des Européens : la motivation, les falaises, l?argent??

NF: Ce qui les différencie le plus c?est que ce sont de Américains. Un Américain qui a une idée, ne réfléchira pas des heures aux conséquences éventuelles comme le ferait un Européen avant de prendre des décisions et agir. Ici en Europe, la majorité des gens ont du mal à casser leurs petites habitudes car ils pensent un peu trop aux conséquences à long terme.
Les Etats-Unis est vraiment le pays qui m?a donné le goût du voyage. Je me suis rendu compte qu?il est tout à fait possible de voyager seul et avec peu d?argent dans un pays inconnu et de rencontrer facilement des gens avec qui grimper. Là-bas, j?ai rencontré des vrais grimpeurs passionnés qui vivent pleinement l'escalade. Du style : grimpeurs voyageant depuis 3 ans, dormant dans leurs voitures, presque sans argent mais hyper heureux. Ce type de grimpeurs, il y en a beaucoup aux States.
En Europe, j?en rencontre rarement. Peut-être est-ce dû à un plus grand engouement pour la compétition et la grimpe indoor?

BCN: Que penses-tu qu?il manque aux petits Belges pour rivaliser avec les meilleurs au niveau international? Est-ce que c?est simplement parce que nous sommes moins nombreux?

NF: Je ne pense pas que ce soit un problème de nombre. C?est plutôt un problème de falaises. En Belgique, les falaises offrent un style d?escalade assez particulier : très technique, peu de dévers. A cela, il faut rajouter nos conditions climatiques peu favorables. De ce fait, quand le grimpeur belge grimpe en falaise, il se prend des claques et perd ainsi toute la confiance en son niveau. Ensuite ils vont lire dans des magazines des perfs incroyables (pour la plupart exagérées) qui les dépassent tellement qu?ils perdent l?idée d?arriver à un tel niveau.
Pour moi, en escalade, il ne faut jamais se laisser impressionner. A partir du moment où on se laisse impressionner, on se met en position d?infériorité. Ce qui n?est pas bon. Il faut savoir reconnaître les performances des autres tout en restant les pieds sur terre car les miracles en escalade, ça n?existe pas!!! Je pense qu?en Belgique il existe de très bons grimpeurs qui ont de grandes capacités mais qui se bloquent peut-être comme expliqué ci-dessus. C?est aussi le voyage qui m?a donné cette confiance. Tout est possible.

BCN: Que t?inspire la destruction des blocs mythiques de Fontainebleau comme Carnage au Bas Cuvier ou même Karma à Franchard? Finalement la taille en général, même si ce phénomène n?est pas omniprésent en Belgique vu le peu de falaises que nous avons?

NF: La taille de certains blocs à Fontainebleau est un acte de vandalisme regretté mais je pense qu'il n?entre pas du tout dans le contexte de la taille en général. Effectivement, ce sont les actes d?un homme mentalement déséquilibré...
Pour ce qui est de la taille en général, je suis assez contre. La taille n?est pour moi qu?une paresse de la part de l?équipeur: ainsi il ne doit pas se soucier de savoir si la ligne qu?il équipe comporte oui ou non des prises (il n?aura qu?à en fabriquer).
Ce que je trouve fort dommage et malheureusement fréquent, c?est qu?il existe des sites d?escalade truffés de rochers magnifiques et que des équipeurs (dont je ne citerai pas les noms!) se permettent de tailler.

L'escalade, c'est de la motivation!

BCN: Le bloc fait partie intégrante de ton entraînement, je pense. Est-ce que tu en ferais ton cheval de bataille comme le font certains grimpeurs : Fred Nicole, Klem Loskot ? En définitive, vivre pour le bloc et grâce au bloc.

NF: Non, certainement pas. D'ailleurs, je ne pense pas qu?ils le font (Fred Nicole et Klem Loskot).
Tous les aspects de l?escalade m?attirent. Tant le bloc que les voies sportives, les Big wall, les voies traditionnelles, l?escalade sur glace, la montagne ou même l?ouverture de voies. C?est toute la richesse de ce sport. Chaque aspect est bon pour les autres. Dans mon cas, je me concentre beaucoup sur le bloc car c?est l?une de mes faiblesses. Donc en faisant beaucoup de bloc cela me permet de progresser dans ce style mais aussi de m'améliorer dans les autres disciplines.

BCN: Presque tous les grimpeurs s?accordent à dire que le 8ème degré est un cap, encore plus que tous les autres? Ton niveau se trouve maintenant bien au-dessus, peux-tu nous dire si ce fut le cas pour toi ou si c?est encore plus dur après ? Au fait, quelle est la recette miracle pour passer du 7c au 8a?

NF: Je pense que ce genre de cap est entièrement mental. C?est surtout notre motivation qui joue un rôle prépondérant dans notre progression. Plus on est motivé, plus on grimpe, donc plus on progresse. Voilà tout le secret.

BCN: Etant aux études actuellement, est-ce que ce n?est pas trop difficile de jongler entre travail et haut niveau?

NF: Disons plutôt que ce n?est pas impossible. Ce qui est le plus difficile, c?est que notre système est peu flexible vis-à-vis des sportifs de haut niveau. Je ne bénéficie d?aucun traitement de faveur.
Si seulement on pouvait être reconnu comme sportif de haut niveau. J?ai beaucoup de projets en escalade qui ne seront réalisables qu?à la fin de mes études. Evidemment, c?est un choix à faire. Certains on choisit de ne pas faire d?études.

BCN: Vu ton expérience, nous nous demandions si tu pouvais éclairer les lecteurs du BCN sur la plus belle falaise pour aller grimper? Cela restera entre nous?

NF: Il y en a plein! Comme le dit Sean (Villanueva), c'est comme demander à un père lequel de ses enfants il préfère? Elles sont toutes uniques dans leur style. Tout dépend donc du style que l'on préfère.
En général, j'apprécie toutes les falaises à partir du moment où les voies sont naturelles et pas trop bidouillées. Et Freyr tout particulièrement car on y trouve des voies très techniques et dans un style assez rare. Malheureusement beaucoup de voies y sont taillées. Celles qui ne le sont pas sont pour moi exceptionnelles.
A côté de cela, j'ai été très impressionné par les gorges du Verdon et de l'Ardèche. Les voies y sont splendides mais le plus impressionnant c'est qu'il y reste encore un potentiel gigantesque. Si ces endroits venaient à se développer, ils deviendraient sûrement des sites références que je ne voudrais manquer pour rien au monde.
Que dire d'autres si ce n'est que St-Léger m'a tapé dans l'oeil. Les voies y sont naturelles, le cadre est magnifique, il y a peu de monde et beaucoup de voies dures. Tout pour plaire aux grimpeurs.
J'essaie donc de ne pas oublier les Etats-unis et l'Espagne où j'ai vu des sites spectaculaires mais c'est vraiment trop dur de choisir laquelle de toutes ces falaises est la plus belle.

BCN: On ne compte plus tes réalisations éclairs en falaise : multitude de 8c, 8a+ à vue, etc? Tout le monde (dont nous) se demande même à quand les 8c+ et 9a. As-tu déjà des projets en vue pour 2002?

NF: J'ai surtout envie de finir et réussir ces études de m... qui m'empêchent de grimper comme je veux.
Par contre, à court terme, je vais partir avec Olive (son frère), Sean (Villanueva), Amandine (sa copine) pendant 1 à 2 mois grimper un peu partout en Europe, faire des voies sportives, des big walls et aussi des voies sur coinceurs. J'aimerais aussi ouvrir quelques lignes lors de ce voyage.
Dans l?absolu, réaliser du 8c+ en Belgique et à l'étranger me plairait également.

A savoir...

Réalisation falaise en Belgique: Le Clou (8c), Carabistouille (8b+), Shingen (8b+)
Réalisation falaise à l'étranger: Estricnina (8c, 2ième essai) à Cuenca; Le cadre (8c, Céüse); La chronique de la haine ordinaire (8c, Céüse); Céréal Killer (8c, Roquevaire); The crew (8c, Rifle).

Partenaires: Five Ten, Black Diamond, Prana, Lanex

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