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Escalade au Maroc
Les Gorges de Taghia
"On sort les sandales, shorts, tee-shirts et éventuellement un pull pour l'avion"... Ou pas!
Comme toute bonne histoire, elle commence autour d'une bière! Ce soir-là nous sommes plongés dans les livres et revues d'escalade afin de dénicher la destination de notre première grande virée grimpe. C'est en feuilletant au hasard « Les plus belles parois du monde » d'Arnaud Petit qu'on découvre « Baraka 680m 7b », sur un calcaire orangé perdu dans les montagnes du Haut Atlas. C'est décidé, nous partirons pour Taghia, petit village perché à 1900m d'altitude.
Départ mouvementé
Fin septembre les cordées se forment très vite, tout le monde est très enthousiaste : d'une part Livio et Jonathan, Félix et moi de l'autre.
Après les fêtes de fin d'année et nos exams de janvier, tout va vite! Le temps de s'entraîner un peu (séances de conti mémorables!) et on se retrouve à l'aéroport de Charles de Gaulle le 3 mars au soir. Faire les sacs n’a pas été chose aisée : poids maximum à respecter, et discussions interminables sur la pertinence de prendre le camalot n°4 (non!), des micropurs (oui !) et une corde à simple (non !), ...
Après une agréable nuit comme seul le sol de CDG peut nous l'offrir (excepté pour Livio qui a réellement dormi, on ne sait toujours pas comment) et quelques heures d'avion (dans lequel on était bien les seuls à porter des bonnets et à trimballer doudoune, veste et autre polaire), nous arrivons à Marrakech.
Nous y faisons la connaissance de Saïd (le premier d'une longue série) et son taxi. Après l'avoir démarré en chipotant sous le capot, être tombé en panne d'essence au milieu de nulle part, avoir passé 2 cols à 2600m sur des routes de terre et conduit pendant 6h30, Saïd nous dépose à Zaouia. La piste s’y arrête et 2 mules sont chargées. Après 2h30 de marche on découvre enfin le cirque de Taghia et ses parois majestueuses! Mais patience, il faudra attendre le lendemain pour enfiler les chaussons et faire chauffer les descendeurs...
Nous rencontrons notre hôte, Saïd (un autre). Son gîte est situé un peu en dehors du village, près des parois et est géré surtout par sa femme: Fatima. Nous sommes les premiers et seuls hôtes depuis décembre...
A l'attaque de Taghia
Le lendemain: c'est parti! On attaque par les parois les plus proches du gîte: la paroi des Sources (qui porte ce nom parce que les sources qui alimentent Taghia en eau "potable" se situent à son pied). On y commence le séjour en douceur avec des voies de 300m en 6b. A chaque cordée sa voie mais toutes deux se croisent sur une grande vire, à deux longueurs du sommet. On y casse la croûte et on repart.
Et là, les choses sérieuses commencent! Il faut dire que pour l'instant, rien d'exceptionnel, les voies sont superbes, bien équipées et pas d'une difficulté particulière... C'est sans compter avec la descente! "Par le versant N-W" nous dit le topo, c'est gentil mais il y a des falaises... Ah ben non, il y a effectivement un passage (n'osons pas appeler ça un chemin) qui coupe la paroi et qui la longe en descendant lentement. Cette délicate descente ne sera qu'un avant goût des autres retours!
Nous arriverons au gîte à la tombée de la nuit, à nouveau accueillis par une soupe bien chaude et un succulent tajine (nous en mangerons de toute sorte durant tout le séjour). Certains profitent du fin filet d'eau chaude de la douche pour se laver (si si!) pendant que d'autres se plongent dans les topos.
Cette journée nous aura surtout permis de découvrir deux lignes superbes, de faire confiance en l'exceptionnelle adhérence du rocher (même si on tient sur des mini-réglettes les pieds en adhérence sur du vertical... Ça tient! Faut revoir les lois de la physique, c'est pas normal!), mais aussi de se familiariser avec les montagnes qui nous entourent.
Taghia est situé au pied de celle que l'on aperçoit en premier en arrivant: l'Oujdad (l'homme) ; derrière se situe le Taoujdad (la femme, plus petite: tout à fait normal selon Mohammed...). Juste à l'Est se dresse la Paroi des Sources, formant ainsi un long canyon étroit parfois de quelques mètres à sa base et flanqué de 300m d'un côté, de 700 de l'autre! Plus à l'ouest se situe la paroi de Tagoujimt qui, elle aussi, forme un canyon (moins marqué par endroits) avec l'Oujdad. Ce sont les 2 principaux canyons qui comptent à eux seuls une centaine de voies. Dans le reste du cirque et au bout de ces canyons s'élèvent d'autres parois tout aussi impressionnantes dont certaines demandent plusieurs heures de marche d'approche ainsi que des bivouacs.
Au fond du canyon
Le lendemain, on s’enfonce un peu plus dans le canyon. La marche d’approche comprend des petits pas de grimpe (ou encore une courte échelle), parfois bien engagés. Nous accédons aux pieds de "L'allumeur de rêves berbère" pour John et Livio et de "Canyon apache" pour Félix et moi. Toutes les deux affichant 280m de 6c/6c+ équipés par Piola et absolument sublimes! Une fois de plus (et dernière fois du séjour), nous grimperons en parallèle. Après quelques longueurs dans le froid, le soleil fera une brève apparition, ce qui laissera tout juste le temps d'enlever pull et tee-shirt pour ensuite très vite tout remettre (rafales de vent obligent).
Le troisième jour, nous décidons d'aller repérer le départ de « Baraka » que Félix et moi comptons faire le lendemain. Après une heure et demie de passages aériens, de ponts berbères et de vires avec une sensation de vide omniprésent, nous nous retrouvons au pied des 680m qui nous font rêver depuis quelques mois. « Baraka » est coupée en deux parties, la première de 400 mètres très verticaux, comportant toutes les difficultés de la voie, et la seconde moins raide, démarrant juste après la seule échappatoire possible de la voie. C'est au pied de la paroi que rencontrons Mohammed, un berger qui porte sur son dos corde, baudrier, pitons, descendeur et autres jouets... (Vous imaginez nos têtes) C'est dans un mélange d'Arabe, de Français, d'Espagnol et d'Anglais qu'il nous explique comment se déroulent ses journées: une belle petite leçon sur notre façon de vivre occidentale! Après cette très sympathique rencontre et un dernier coup d'oeil vers la paroi, nous allons nous reposer: grosse journée le lendemain.
Nous ne partons donc ni au même endroit ni à la même heure. John et Livio iront s'amuser dans la voie "Au nom de la réforme", 300m en 6c sur le Taoujdad. Les derniers mètres de la marche d’approche consistent à grimper une rampe inclinée et lisse (4+ ?) surplombant le vide. En grosses et sans assurage... Contrairement aux jours précédents, le vent incessant et l’ombre les feront grelotter aux relais. La voie est très belle et la dernière longueur dure de dalle au soleil reste mémorable (surtout pour Livio qui en oublie son matos). Le retour est des plus pénibles pour les genoux : une descente sans fin dans le lit d’une rivière asséchée, raide, lisse et rocailleuse.
Pour ma cordée, après un réveil à 3h et un rapide petit-déj, c'est le départ pour une longue journée. Grâce au repérage de la veille, on attaque la 1ère longueur à la frontale à 5h30: un 6b+ dalle à froid ça fait toujours plaisir! S'en suivront 400m de superbe calcaire orange! Les difficultés ne descendent jamais en dessous de 6c. Toutes les longueurs sont enchaînées notamment grâce au fait de hisser un haul-bag qui nous permet d'avancer rapidement et surtout légers. Mais c'est sans compter qu'il commence à grêler! On atteint la vire de l'échappatoire et ainsi la fin des difficultés, un dilemme se pose à nous: la prendre ou continuer avec la grêle, les rafales de vent et le froid (on grimpait quand même en pull, doudoune et veste!)? Par prudence nous préférons nous échapper par la vire ouest et ainsi rejoindre le sommet.
Tu parles d'une échappatoire: une vire énigmatique, des arêtes hyper expos (pont berbères branlants, neige, 300m de vide: vive les coinceurs!) et des rafales de vents... Tout ce qu'il faut pour nous faire regretter la fin de la voie... On finit par arriver au sommet de l'Oujdad! La grêle a déjà stoppé depuis longtemps... Pas le vent!
Du sommet culminant à 2700m, nous avons une vue imprenable sur tout le cirque de Taghia ainsi que sur une bonne partie du massif du Haut Atlas avec notamment le plus haut sommet du Maroc: le mont Toubkal. Et on aperçoit aussi nos copains au sommet de leur voie! Mais vu l'heure et la descente inconnue qui nous attend, on aura juste le temps d'avaler 2-3 biscuits, de faire les photos et vidéos indispensables et de filer en face nord pour rejoindre le gîte.
Vous croyez que c'est fini? Non non! Comme d'habitude là bas, les descentes sont en général plus dures que la voie: celle-ci le confirme très bien! C'est après 300m de désescalade aérienne et une descente en rappel presque impossible à trouver que nous rejoignons l'austère couloir entre l'Oujdad et le Taoujdad emprunté par l'autre cordée quelques heures plus tôt. Déjà de jour ce n’est pas évident... Je vous laisse imaginer de nuit!! C'est à 19h30 au gîte que nous pourrons enfin nous remémorer les longueurs magiques qu'on a faites il y a si longtemps! Après 16h non-stop de grimpe soutenue, de marche, d'une course d'arête, de descente scabreuse, l'appel du ventre et du lit se fait bien sentir!
Quelle superbe journée pour les deux cordées!
Le lendemain, John et Livio s'en vont faire "Canyon apache" et en reviennent enchantés tandis que Félix et moi essayons quelques voies sportives d'une longueur en guise de repos.
Après une bonne nuit de sommeil, cette fois en partageant le gîte avec quatre Français, Félix et moi allons dans une nouvelle voie: "Trompettenkafer"qui affiche 300m, 7a+ et qui est sans hésiter la plus belle voie qu'on ait pu faire sur calcaire! Un must sublimissime!
John et Livio partent dans leur dernière voie, "l'âne sale" qui domine la rivière en aval du village : 150m variés avec une superbe longueur sur colonnettes suivie d'une dalle pour beaucoup de plaisir dans ce 7a majeur! Ils vont ensuite faire quelques couennes. John se souviendra bien d'une d'entre elles: première plaquette absente... Ça engage pour la remettre armé d'un crochet goutte d'eau qui crisse tout le temps sur ce calcaire...
Après le bon temps... la neige
Pour le dernier jour à Taghia: il pleut... Après un "conseil de guerre", nous redescendons avec les Français à Zouia. Difficile de dire au revoir à ces superbes parois mais il faut se rendre à l'évidence, la pluie ne cessera pas et il est presque temps pour nous de reprendre l'avion.
Incroyable, le lendemain nous nous réveillons face à un beau manteau de neige et un ciel très bleu. Le paysage est magnifique! On s'inquiète un peu plus en découvrant la piste recouverte de 30cm de neige... neige qui n’a pas fait peur au chauffeur du bus qui nous raccompagne à la ville. On décide de mettre ce dernier jour à profit pour aller visiter les chutes d'Ouzoud à mi-distance de Marrakech ; inutile de vous préciser que nous ne sommes pas restés sur les sentiers touristiques! On y découvre un tout autre environnement: végétation abondante avec une rivière couleur rouge, l'air y est très lourd et humide. Et ça change de Taghia : touristes en shorts et étudiants locaux venus pour faire la fête sont omniprésents. Un autre monde!
Sur la route nous menant à l’aéroport de Marrakech, on s’arrête tout d’abord dans un souk aux saveurs très locales. Le "parking à ânes" fait la taille d’un terrain de foot, et l’on se demande comment chacun y retrouve sa monture. En continuant notre route de retour, comme si notre vie en dépendait, après un hurlement collectif adressé au chauffeur, on s’arrête ensuite aux "zitun" ("olives "), notre saint-graal. En effet, après un arrêt mémorable à l’aller, nous n’avons plus retrouvé de zitun dignes de ce nom. Accompagnées d’un peu de pain chaud, d’huile d’olive et de thé à la menthe, ces zitun valent bien toutes les parois réunies du Maroc !
Le lendemain, l'heure du départ a sonné... Nous sommes accueillis par Eliane à CDG le dimanche 13 à 23h et l'arrivée de nuit à Bruxelles sera suivie d'un long repos plein de rêves...
En parlant de rêves (et donc de projets!!), tout en feuilletant les magazines publicitaires dans l'avion, nous découvrons qu'il y a depuis peu des vols low-cost pour la Jordanie... Je leur dis: "Vous savez... Le Wadi Rum, c'est comme Taghia: c'est majeur..."
Un tout grand merci à Dominique, Ronald, Eliane et Eric, ainsi qu'à tous ceux qui nous ont permis de réaliser ce superbe voyage!
Livio, Félix, John et Kivik
Article extrait de la revue Par Mont et par Vaux éditée par le CAB Brabant
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