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Always stick to your plan

Always stick to your plan

?Ou comment en l?espace d?un instant le facteur humain prend le pas sur la raison

21 octobre 2008, 

PROLOGUE

Dans le cadre de notre trip ski alpinisme au Chili nous revenons d’un séjour réussi dans la vallée de Baňos Colina: cinq sommets et quelques “Erstabfahrten” dans la poche… yeah ! Le Refugio Aléman – notre dépôt matériel dans la vallée – est complètement canibalisé par trois dispendieux skieurs héliportés en provenance de Prague: le Norvégien Niels, l’Américain Marc(uito) et le Tchèque Radèk. Ils trouvent notre histoire tellement “amazing” qu’ils nous autorisent à accéder sans problème au Refugio qu’ils ont loué.

Le soir venu et le jour de repos du lendemain les conversations et les contacts se déroulent de façon un peu moins superficielle. Dans ce refuge il y a visiblement peu de différence entre trois « millionnaires » et deux ski-alpinistes campinois. Nous profitons des vins Grand Cru qu’ils nous offrent. Jan le guide – un descendant d’une des plus riches familles du Chili – filme quotidiennement les descentes de ses élèves : de la poudre exceptionnelle… mais aussi des mètres de descente assez onéreux !

Dans les montagnes, peu importe ce qu’ils font. Le refuge forme un point de chute idéal pour le quatuor. Ils s’envolent en hélicoptère sur des dizaines de kilomètres pour s’offrir de 8 à 10 runs de descente de 1.500 à 2.000 mètres de dénivelé. Et ça, pendant 6 jours… faites le compte.
Nous expliquons nos plans et nos intentions des prochains jours à Jan, Niels, Marc et Radèk. Cela ne nous empêche pas de leur demander dans la foulée de voler au dessus de “notre” vallée et ainsi de filmer de l’hélicoptère. “No problem…it would be a real pleasure…!

CAYON DE MAIPO

Vendredi soir… le maestro – le patron du refuge – nous amène avec son 4 x 4 jusqu’au premier “landslide”. Nous hissons nos sacs à dos de 35 kg sur nos épaules. Le début d’une belle randonnée. Nous espérons pouvoir monter notre tente à 3.000 mètres… mais la route est longue. Après avoir trimé pendant 7 heures la tente trouve sa place au pied du Cerro Union. D’ici la vue sur la face NE est idéale. Avant que le soleil ne se cache derrière la crête j’étudie deux lignes évidentes pour une nouvelle première. La nuit à 3.070 m promet d’être glaciale.

CERRO UNION

Samedi 8h00… nous sommes en route… la randonnée n’est pas trop longue. Les rayons de soleil de la fin de matinée nous offrent une petite descente.
A 10h30… nous sommes au sommet. A peine arrivés que les retords de l’hélicoptère se font déjà entendre. Yes… ils ont tenu parole. Jan filme la vallée, le camp de base et nous sur le sommet … intact ! 

Et maintenant ? Le pilote essaie d’atterrir sur le sommet! Nous nous jetons corps et membres sur nos sacs à dos et nos skis déjà abattus… le déplacement d’air est énorme et semble balayer tout sur son passage. De la neige parvient à rentrer dans mon softshell ouvert… brrrr.
Merde… ils ont aussi leurs skis! Traqué… tel est mon sentiment pour l’heure. Je ne suis pas encore près pour descendre. De plus la neige a encore besoin d’une demi-heure pour se raffermir. Damned… ils skient sur NOTRE flanc de NOTRE montagne. Sh… je n’ai pas ramé pendant une journée avec un sac de 35kg, passé une nuit glaciale et grimpé toute la matinée pour descendre ensemble avec une bande de touristes à carte de crédit!

Je cherche rapidement une alternative sur la crête. Wow… une belle pente au Sud-Est… de la poudreuse ! Je skie un petit 300 mètres de dénivelé d’un trait. “Hey frisse, si tu ne t’arrêtes pas de temps à autre, je ne pourrai par filmer correctement”, grommelle Wim un peu plus tard. “Euh…désolé gars… mais c’était tellement chouette.” Je traverse un peu à gauche. A partir d’ici on peut rejoindre l’objectif initial. Je remarque la présence d’un petit couloir étroit entre deux parties rocheuses sur ma droite. Il se termine en terrain ouvert. Je recherche prudemment la trajectoire idéale. Dans le petit couloir je m’immobilise après chaque “jump-turn”. Je somme Wim de contrôler sa descente au maximum. “Il vaudrait peut-être mieux que tu freines jusqu’en bas! “ Yes…we’ve managed it. “Wim, reste un peu où tu es… je regarde comment on va descendre.” Après une nouvelle petite traversée, je trouve une sortie. Encore un passage difficile… après c’est encore pentu mais sans plus aucun obstacle.

CRASH

Chez les ski-alpinistes/freeriders on dénombre trois cauchemars, à côté des dangers d’avalanche: (a) on fait une faute technique et on chute, (b) on déchausse, (c) on rencontre des pierres et des rochers cachés sous la neige. Une combinaison des deux derniers est sur le point de m’arriver.
Deux mètres au dessus du dernier obstacle je réalise une courbe prudente vers la gauche. La partie supérieure de la plaque rocheuse est sous-enneigée. Je perds l’équilibre et glisse… reviens à droite… essaie de me stabiliser avec les skis sur les rochers. Sous la pression énorme je suis catapulté en dehors de mes fixations. Je dégringole… le premier coup est le plus dur. Je le reçois au niveau des cuisses. Le choc de mon casque sur le rocher est brutal. Je continue ma chute sur la neige et m’immobilise 20 mètres plus bas. Du coup sur le rocher à l’immobilisation… pas plus de trois secondes. 

Ouf… je peux bouger… me mettre sur les genoux… faire un signe à Wim que tout (sic) est OK. “Sois prudent et bifurque suffisamment haut!” Mes skis gisent en dessous de la partie rocheuse. Wim les récupère à pied. Je remarque du sang … et sent une plaie à la lèvre. Je sors péniblement ma boussole pour constater les dégâts dans le miroir. La lèvre n’est touchée qu’à l’intérieur. Au menton quelques plaies superficielles… au nez une blessure beaucoup plus profonde. Le côté gauche de mon casque est incurvé légèrement. J’en conclus que cela aurait pu être bien pire. Wim applique les premiers soins. Ma première envie est de quitter cette piste de malheur… bien que le flanc de la montagne n’y soit pas pour grand chose… 150 mètres plus bas le terrain est plus plat. J’ai un mal affreux à la partie supérieure de la jambe… je n’ose pas chausser mes skis. C’est au moyen de mes crampons et piolets que la descente s’effectue. Une fois arrivé, je me laisse tombé par terre. Wim prend soin de la blessure avec le flair d’un professionnel.

Y A-T-IL UN DOCTEUR DANS LA SALLE?

Et maintenant? Je réalise qu’une visite chez le médecin est indispensable. Est-ce que ma blessure au nez est grave? Peut-être aurais-je droit à des points de suture? Et ma lèvre? Et mes jambes? Existe-t-il un danger d’hémorragie interne? 

Nous avons le téléphone d’Eduardo… le pilote d’hélicoptère: “In case of emergency.” Urgence… ouais… je peux encore bouger. De plus je me sens trop fier pour me laisser héliporter. Et que dira-t-on de l’intinct d’auto-survie en montagne? D’ailleurs je ne suis pas fan des situations chamoniardes où – “pour ainsi dire” – pour une piqûre de moustique ou des sous-vêtements sales vous pouvez vous faire évacuer (bouttade, les secours effectuent un boulot magnifique). Que fera Wim en haut avec 70 kg de matériel? Ne vit-on pas en ce moment une expérience de pionnier? Une évacuation par hélicoptère ne me semble définitivement pas une option ici.

Nous nous trouvons 200 mètres plus bas que notre tente. Souffrant le martyr, je suis Wim pas à pas. Arrivé à la tente, nous mangeons et buvons rapidement, démontons le camp et jetons tout dans les sacs à dos. Wim propose de porter la tente. Pour une fois, la raison s’impose sur l’ego… plus encore… j’accepte la proposition des deux mains en le remerciant. Full équipé on skie (on glisse) vers la vallée. La pression sur mes cuisses est énorme mais tenable. On avance relativement vite. Je trouve même la force de faire la trace sur quelques tronçons. L’adrénaline sûrement?

Le village de “Baňos Morales” est bondé. Venus de Santiago des dizaines de locaux séjournent pendant les week-ends ensoleillés dans des petites maisons et refuges de la vallée. Un lourd sac à dos, une paire de skis, un visage ensanglanté et légèrement contusionné… cela fait sûrement impression sur les locaux. Un “bombero” nous offre amicalement un lift avec sa Jeep ancestrale. Il nous conduit jusqu’au Refugio Aléman. J’espère pouvoir m’y rafraîchir un peu pour ensuite partir le plus vite possible pour Santiago… un trip de 2 à 3 heures… en auto et bus.

Mais là… croyez-moi ou pas… une chance pour un accident… un chirurgien esthétique de la capitale est présent au Refuge. Faisant partie des rares freeriders chiliens, il termine sa randonnée du jour. Le jeune médecin entreprend d’ausculter ma tête: yeux, nez, bouche, gorge, dents, mâchoire, oreilles, lèvres,… Le verdict tombe “Rien de cassé, aucun muscle ni os touchés… seulement de la peau.” Les blessures pourront se refermer avec du steristrip. L’entaille à la bouche est ennuyeuse mais va guérir de soi-même. Tout est nettoyé en profondeur et désinfecté. Le nez est emballé dans du steristrip. Le docteur en profite pour féliciter Wim pour la qualité des premiers secours prodigués en montagne. Selon lui les jambes ne posent pas de problèmes. "Si vous êtes revenu de montagne par vous-même, c’est que c’est OK.” Le fait qu’il n’y ait pas de fracture m’encourage à penser qu’il n’y a pas d’hémorragies internes. “Buvez une bière ou du vin, prenez du repos et vous déciderez ensuite quand vous remonterez en montagne.

36 heures plus tard nous portons de nouveau nos paquets de 35 kg. Suivent encore 5 ascensions à Quebrada Morales et Estero de la Engorda parmi lesquelles 2 premières. Ici encore quelques passages rocailleux et quelques descentes escarpées sont de la partie… je dois combattre ma peur. Mais cette fois tout est planifié en profondeur comme par le passé.

EPILOGUE

Dans ma “carrière” d’alpiniste et de moniteur j’ai toujours placé le planning, la sécurité, l’analyse des risques à l’avant-plan. Jusqu’au jour de l’accident, je n’ai JAMAIS descendu une face sans l’avoir au préalable (a) étudié ou estimé de loin ou (b) analysée sur carte (1/25.000) et dans un topo. Pendant mes cours théoriques et au cours de mes stages d’hiver j’attire toujours l’attention sur ce point.
Pourtant m’est arrivé ce que j’ai toujours essayé d’éviter. Que pasa?

Déjà plus tôt et principalement lors de mes formations auprès de la D.A.V. (Deutscher Alpenverein), j’ai été principalement attiré par le facteur « humain » à l’intérieur du paquet planification de randonnée, gestion des risques et analyse d’accident. Voici ce que livre un article de M. Engler/(J. Mersch) au sujet de la "Persönliche Einstellung und Erfahrung" (ndlr : « Réglage et expérience personnelle »):
"Die eigene Einstellung gilt als der Motor des eigenen Verhaltens. In zahlreichen Versuchen wurde belegt, dass weniger das angelernte, theoretisch Wissen unser Verhalten bestimmt, auch wenn dies oft irrational und unvernünftig ist. Gleichzeitig neigt der Mensch aber dazu, sein eigenes Tun als richtig, vernünftig und durchdacht darzustellen obwohl bei genauerem Hinsehen die eigene Motivation und die Einstellung zu gewissen Dingen die eigentliche Triebfeder sind".
Traduit littéralement
: L’homme, dans les faits l’alpiniste, pense – a l’illusion de  – prendre ses décisions de façon rationnelle, claire et réfléchie. En réalité la motivation et la constitution personnelles (moins rationnelle et réfléchie) déterminent souvent ce qu’ils font et laissent faire.

Un peu plus loin l’auteur assaille quelques vérités provocantes, comme par exemple: "Er war ein sehr erfahrener Bergsteiger. In wirklichkeit kann es sein, dass die betreffende Person nur lange Glück gehabt hat und nun die logische Folge dieses Tuns eingetreten ist".
Traduit littéralement
: Il/elle était un alpiniste capable… En réalité il se peut qu’il était écrit dans les étoiles que ses actions ou inactions aboutiraient à quelque chose de tragique.

Pour Engler, l’expérience n’est pas vraiment la somme d’une série d’ascensions ou d’événements engagés. L’expérience naît uniquement du sens d’auto-critique et par les conséquences tirées retrospectivement. Si nous tirons des conclusions fautives d’une randonnée, d’une ascension, d’une chute ou d’un (quasi-)accident, que nous apprend l’expérience?

Qu’en est-il de mon cas? Est-ce que j’ai eu de la chance? Sûrement… les blessures auraient pu être plus sérieuses. Est-ce que j’ai eu de la malchance? Yep… les pierres cachées sont un vrai cauchemar pour un ski-alpiniste. Mais j’ose croire que j’ai tendu la main à la malchance ou, appelons-le, le risque résiduel. La randonnée et la descente étaient bien préparées, l’alternative beaucoup moins. Cette descente était faisable, nous avions trouvé une sortie,… Elle n’a simplement pas été bien calculée; avec du recul j’aurais peut-être choisi cette variante.

Sous la pression de plusieurs facteurs la RAISON a cédé chez moi sa place à la FAUTE humaine. Sont entrés en ligne de compte des facteurs externes (…skieurs héliportés,…) et internes (…la pression que je m’imposais, l’inattention, l’ambition, l’envie d’aventure, le besoin de prestation, la définition que je donne aux termes ascensions et descentes autonomes, la plus-value que m’offrent les randonnées en solitaire, …). La faute humaine… ouaip… je devrais plutôt parler de BÊTISE.

D’autres – s’ils fouillent (osent fouiller) un peu dans leur mémoire – rencontreront des situations comparables dans toutes les disciplines des sports de montagne. La première peur passée, on en écrit ensuite une belle histoire pleine de rebondissements et de suspense. Ou pas… nous nous taisons dans toutes les langues. Personne n’aime étaler sa propre stupidité au grand jour. Ce n’est pas bien dans le milieu alpin.

Après une semaine de réflexion j’ai décidé de coucher cela sur papier. Une façon de réaliser une auto-thérapie… qui sait? Bien qu’il s’agisse d’une expérience subjective, j’ai essayé d’en dépeindre une image objective et honnête. Peut-être, même sûrement, quelques-uns d’entre vous y auront à redire? J’espère seulement que cet article apportera une (petite) pierre – un grain de sable – à une meilleure pratique de nos sports de montagne.

Il existe réellement un risque sous-jacent à la pratique de notre sport. Encore plus qu’avant je suis convaincu que la majorité des accidents – avec ou sans fin tragique – sont évitables. Et qu’ils ont une cause qui est bien éloigné des dangers inhérents à la montagne. Dommage que j’ai dû en faire les frais de façon empirique pour en être convaincu ;-)

Saludos,
Peter
(les réactions nuancées ;-) sont les bienvenues: [email protected])
(Exploration Chili 2008 : www.toerski.be)


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22-10-08
mooi verhaal.
Dank je om het te publiceren.

22-10-08
Misschien wel een prachtig voorbeeld van hoe openlijk over elk voorval gesproken zou moeten kunnen worden.

Een verrijkende bijdrage.

Groeten,
Tijl


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