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Sean Villanueva teste l'escalade en pays chinois

Sean Villanueva teste l'escalade en pays chinois

1,3 billions de Chinois, et moi et moi et moi

1 février 2012, 

Ça fait 45 heures que je voyage, arrivant directement du Yosemite. Personne ne parle Anglais, même au bureau d’information dans l’aéroport de Guiyang. « Bus pour Getu ? » et ils me regardent comme si je parlais chinois, ou plutôt tout sauf chinois. Je le prononce sûrement mal. J’écris « Getu » sur un morceau de papier. Je reçois en retour des froncements de sourcils et des regards comme si j’étais un extraterrestre. Ils ne connaissent pas l’alphabet latin! Pas possible de localiser le village sur une carte, c’est bourré de symboles inconnus. Il y a plus de 10.000 caractères dans la langue écrite chinoise. Pour lire un journal, il faut en connaître 3000! Moi j’en connais zéro. Clairement je n’étais pas préparé à ça! Je suis perdu! C’est foutu!

Des grimpeurs! C’est facile à reconnaître les grimpeurs : la manière dont ils marchent, leur coupe de cheveux, ou peut-être un T-shirt avec un grimpeur dessus, ça peut donner un indice. Comme ils attendent 400 grimpeurs pour cet événement, il y a de fortes chances que je ne sois pas le seul perdu dans cet aéroport. Je m’adresse à un groupe de Philippins qui parlent anglais, mais pas Chinois. Je sympathise avec eux. Je ne suis plus seul. Maintenant nous sommes perdus en groupe. On repère quelqu’un avec un sigle « Petzl Roc Trip » : nous sommes sauvés! Je pensais être arrivé. Et bien non! Encore 5 heures de bus !

Chaque année, la marque de matériel d’escalade Petzl organise un rassemblement de grimpeurs dans un des spots majeurs de la planète. Cette année, c’est la vallée de Getu en Chine. Être invité à cet événement est pour moi un privilège énorme, une occasion de visiter ce site majeur, faire des rencontres et partager des expériences avec des grimpeurs de partout dont certains sont les meilleurs.

On se croirait sur une autre planète!

Getu est un petit village, la vallée est parsemée de falaises. Une quinzaine de secteurs ont été développés pour l’occasion. Il y a plus ou moins tous les styles d’escalade et toutes les cotations : des voies de plusieurs longueurs, des voies courtes, du bloc et tout le reste. Mais le secteur majeur est la double grande arche qui se dresse fièrement au-dessus de la rivière de Getu. On se croirait sur une autre planète!
A 9 heures du matin, lorsqu’il fait beau, le soleil est censé passer à travers l’arche traçant un rayon, presqu’un laser, créant une vue magique. J’ai vu des photos et entendu des histoires, mais je n’ai pas eu la chance de le voir. Pendant les trois semaines où j’y étais, chaque matin au lever, j’étais accueilli par un temps gris et brumeux, typiquement chinois.

La grande arche fait 50m de haut, 70m de large et 137m de long. L’escalade à l’intérieur est caractérisée par des bols arrondis, des plats jamais bons et toujours dans la mauvaise direction. C’est un rocher zéro adhérence : une escalade assez atypique, bien technique mais quand même très « rési ». La plupart des voies font juste une longueur. Comme le dit si bien le grimpeur British «nonegradiste» Steve McClure : « La taille de l’arche est tellement hors échelle que, quand tu cliffes le relais, tu n’as pas encore fait le tiers de la grotte!». Pour l’instant, il n’y a que trois voies qui passent dans le plafond parsemé de stalactites de toutes formes et tailles.

La plus impressionnante étant celle de «La maquina», l’Espagnol Dani Andrada. Une voie de huit longueurs, avec 5 longueurs de plafond (!!), sûrement la grande voie la plus déversante au monde.

"Corazón de Ensueño" fait 210m de long avec des longueurs de 8a+, 8b, 7c+, 7a, 8b+, 8c, 7c+, 8a+. Dani est un véritable boulimique de l’escalade avec une motivation infectieuse, qui pénètre ton corps comme des larves dans un cadavre en décomposition. Après cinq jours de grimpe de couennes sportives, j’étais brisé, comme aplati par un camion dont je n’avais pas eu le temps de noter la plaque d’immatriculation. Néanmoins après quelques mots d’échange avec Dani, je n’ai pu résister à l’envie de grimper avec lui "Nihau Wokepa" (photo). C’est une voie de 5 longueurs, avec des longueurs en plafond encombrées de tant de stalactites que l’escalade est presque comme de la marche horizontale dans le vide. Tu passes de l’une à l’autre avec un vide de fou et une vue sur la rivière 200m plus bas. Le rocher est de super qualité et les stalactites très solides, « beaucoup plus solides qu’à Kalymnos » m’explique Dani qui sait très bien de quoi il parle. Dans le crux de la voie, Dani s’est jeté sur une prise qui n’en était pas une. Je me préparais pour la chute, convaincu qu’il ne resterait plus accroché à la paroi. A mon grand étonnement, en tombant il a réussi à se rattraper sur la prise de départ, et à se relancer sur une prise plus à droite. Et tout ça en parlant!! Grimper avec lui, c’est génial. Ça doit faire 30 ans qu’il grimpe, mais il garde la motivation bouillonnante d’un jeune qui vient de commencer l’escalade. Une demi-heure avant le départ de son bus pour l’aéroport, il tapait encore des essais consécutifs dans un 8c, comme un acharné.

La troisième grande voie qui passe dans le toit s’appelle "Lost in translation" , ouverte par Arnaud Petit et Stéphanie Bodet. Ça doit être incroyable d’ouvrir une ligne depuis le bas dans un labyrinthe de stalactites et de prises! C’est une voie majeure que j’ai répétée avec Ethan Pringle, un américain très fort, connu entre autres pour une répétition très rapide de Biographie 9a+ à Céüse en France. C’est un gars super, très pieds au sol, même s’il est très fort sur rocher.

Plus d'un grimpeur belge sur l'événement

Vous seriez peut-être étonné d’entendre que je n’étais pas le seul Belge à cet événement… Un jour, Arnaud Petit s’approche de moi et me demande : "Sean, j’ai cru voir Jean-Paul Finné ce matin, c’est possible?". Pour changer des destinations habituelles de vacances, il avait décidé d’aller en Chine. Le hasard a fait que le Petzl Roc trip se déroulait justement pendant son voyage. Il a décidé de faire un petit tour à Getu, pour déguster l’ambiance et grimper, notamment avec Sam, un autre Belge. Ce jeune grimpeur Flamand a fait des études de sinologie et en a profité pour mettre en pratique ses connaissances.

Pendant les cinq jours du rassemblement, des centaines de grimpeurs du monde entier et des Chinois des villes avoisinantes ont parcouru la vallée de Getu, se faisant plaisir sur les rochers ou profitant de la vue et du spectacle de grimpe pendant la journée, et des films, présentations et fêtes le soir. La Chine étant chinoise, la cérémonie d’ouverture tenait plus des jeux olympiques que d’un rassemblement de grimpeurs. Avec des danses et chants traditionnels, des feux d’artifices, et des tralalas bien officiels. Même si les grimpeurs ne comprenaient pas grand-chose à ce qui se passait, car tout était en chinois, ce fut intéressant d’avoir cette vue sur la culture Chinoise.

Après le Roc Trip, les participants partaient de jour en jour, et à la fin nous n’étions plus que 5 grimpeurs dans le village. C’était bien tranquille et chouette d’avoir tous ces rochers, les voies et les villageois pour nous tout seuls. Ils sont très accueillants et très gentils. J’ai été quelque fois invité à manger chez eux et quand je leur proposais de payer, ils le prenaient presque comme une insulte. Souvent le seul moyen de communiquer avec eux était de trouver internet et d’utiliser un traducteur en ligne. Le résultat de ces conversations n’avait pas beaucoup de sens, mais c’était ludique quand même. Il semblerait que quand les locaux faisaient couler le Baijiu (vin de riz 52%), la communication s’améliorait entre ceux qui en buvaient. Mais moi, j’avais plutôt l’impression qu’elle se détériorait…

Superbe expérience, endroit vraiment magnifique, avec des parois et un potentiel de malade. La qualité du rocher est géniale et il y a une grande variété de styles. Est-ce que Getu va devenir un grand spot de grimpe? Peut-être ! Ou pas, car c’est quand même loin de tout. En tout cas, si vous y allez, préparez-vous à manger des nouilles bien épicées le matin. Ça réveille!

Sean

Topos et infos pratiques

Sur le site de la marque Petzl

« Cœur de rêve »
« bonjour, j’ai peur » en Chinois
« perdu dans la traduction »


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