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Interview avec Dixie Dansercoer

La passion, tu ne peux pas la mettre de côté

21 février 2007, 

Une nouvelle aventure s?annonce pour Dixie Dansercoer. Dans quelques jours il démarrera de Sibérie avec Alain Hubert pour un voyage de 4300 km fait de neige, de glace et d?eau. L?occasion unique de discuter avec lui, je ne l?ai pas laissée passer. Un peu nerveux, je l?avoue. Ce n?est pas tous les jours que l?on parle à un des seuls explorateurs des pôles que compte notre pays. Pourra-t-il recadrer pour nous son expédition?

Copyright Dixie Dansercoer collection

?Bien sûr,? nous indique Dixie tout confiant. ?L?expédition s?appelle the Arctic Arc. L?objectif est d?atteindre le Pôle Nord au départ de la Sibérie pour ensuite se diriger vers la côte Nord du Groenland. De là on pique vers la côte Sud du Groenland au moyen du système de voiles vu qu?on se trouve sur une surface lisse. La première partie est la plus difficile. Le début de chaque expédition est en soi toujours difficile parce qu?en tant qu?homme ce n?est pas une routine. Tu ne connais pas encore le froid; tes muscles ne sont pas faits pour tirer ce traîneau, même si tu les as entraînés pendant de longs mois. Il faut généralement deux semaines avant de rentrer dans le vif du sujet. A partir de là, une certaine monotonie s?installe. Nous devrions atteindre le Pôle Nord aux alentours du cinquantième jour. La deuxième partie s?ouvrira alors à nous vers le Groenland. Une inconnue, tant au point de vue du niveau de la mer que de la couche de glace. Le fjord est très grand et personne n?y met jamais les pieds. Tu as les cartes en main mais elles sont peu nombreuses. Nous devrons vraiment chercher. Finalement si nous parvenons à atteindre la banquise nous disposerons de toute l?étendue nécessaire pour que notre système de voiles fonctionne à pleine puissance. A partir de là cela devrait aller plus vite.

Copyright Dixie Dansercoer collection

Pourtant quelque chose y survit, c?est la mission parallèle de la science...Je pars une nouvelle fois avec Alain Hubert. Nous formons une équipe soudée, une équipe bien rôdée. C?est aussi un monde extrêmement petit, donc il n?y a pas beaucoup de choix. Après toutes ces années nous pouvons encore nous supporter. Nous sommes également un team exemplaire, Wallon et Flamand, un beau message. Cela fonctionne aussi dans le cas où tu sortirais à l?extérieur, dans le cas où tu voudrais raconter quelque chose au monde. Je pense qu?il nous revient de faire ce travail de pionnier. C?est en nous. La traversée de l?Océan arctique a déjà été réussie par des Norvégiens, bien que pas en complète autonomie. (je pense) Il n?y a qu?une seule équipe qui l?a fait en autonomie. Ce sont les seuls; chapeau bas. A côté d?eux une série d?équipes l?ont également fait avec l?aide de ravitaillement, mais très peu. En soi la traversée reste pour moi le plus gros challenge. Le véritable travail de pionnier que nous voulons entreprendre consiste pour nous à atteindre la banquise du Groenland. Tout ce qui vient en plus est du bonus. C?est du terrain connu parce que c?est plat et stable. Nous déploierons nos ailes à ce moment-là.
L?expédition comprend également certains à-côtés. Nous nous trouvons dans l?Année polaire internationale. Le premier point est donc éducatif, educapoles.org. Ensuite nous avons un point scientifique développé en collaboration avec l?ESA (ndlr : European Space Agency) pour lequel nous allons tenter de déterminer ce qui se passe finalement avec la glace. Ils disposent de données via leurs photos avec lesquelles ils peuvent estimer l?épaisseur de la glace. Cependant la donnée n?est pas affinée parce qu?elle est altérée non seulement par les nuages mais principalement par la couche de neige qui recouvre la glace. Et là se situe notre boulot: de quelle épaisseur est cette couche de neige et de quelle épaisseur est celle de la glace en dessous? La corrélation entre les deux devrait éclaircir les données fournies par les satellites. Jusqu?à présent seules ces données, a fortiori non contestées, sont prises en compte pour tirer des conclusions; c?est une lacune dans le bras de fer entre politiques, responsables économiques et scientifiques. L?aspect scientifique reste un défi en soi parce que tu dois prendre ton temps et apporter le matériel nécessaire, ce qui implique plus de poids. Je reste de plus en plus convaincu que dans une expédition pareille soit tu échoues soit tu la mènes à bien. C?est un moment éphémère de gloire ou de déception. Pourtant quelque chose y survit, c?est la mission parallèle de la science, qui, pour l?humanité, est bien plus importante que celle de deux fous qui ont été faire les idiots sur la banquise. ?

Copyright Dixie Dansercoer collection

In the wake of the Belgica

Si tout va bien ?et nous l?espérons de tout notre coeur naturellement- nous pourrons revoir Dixie aux alentours de la mi-juin. Il ne restera toutefois pas longtemps inactif. Comme si quatre mois de neige, de glace et de dur labeur ne suffisaient pas en une année, une deuxième expédition est déjà au programme. Accompagné de son team international, Dixie s?envolera sur les traces d?Adrien de Gerlache. C?est de Gerlache qui, il y a 110 ans, partit d?Anvers avec son bateau ?The Belgica? pour la première expédition entièrement scientifique en Antarctique. Dixie ne désire pas seulement répéter ce voyage mais tentera également l?ascension de quelques montagnes encore jamais gravies. Une expédition sur mer, c?est différent pour une fois?

... il est préférable d?aller en enfer afin de pouvoir y agir concrètement...?Absolument,? nous répond Dixie. ?Mais tu sais, jusqu?à présent je me suis rendu en Antarctique soit en avion soit en brise-glace, en soi deux moyens de transport très polluant. Un voilier n?est pas de cet acabit. C?est important pour la symbolique. Je ne suis pas un éternel ermite. Nous disposons d?électricité, d?une voiture,? Tu dois trouver un juste milieu par toi-même. Cela n?enlève rien au fait que tu dois sensibiliser le plus possible, principalement auprès des jeunes. Ceux-ci doivent considérer cela comme un mode de vie normal. Nous faisons encore partir de la vieille génération, mais la pensée écologique s?est installée le temps d?une génération et cela prend effectivement du temps. Nous disposons naturellement de l?expérience et elle est toujours plus significative. Ouvrir les yeux, entendre, sentir, ? Notre vécu nous indique que la glace sur laquelle nous marchons n?est plus la glace millénaire d?antan. Il y a également de plus en plus d?eau. Il est clair que la glace s?amincit et casse plus facilement. Ces choses-là, je peux seulement les poser sur la table sans commencer à crier: Je sais! J?en ai fait l?expérience! Mais les gens qui attendent un résultat de ce que nous faisons sont les scientifiques, les écologistes, etc. C?est pourquoi je veux rester prudent. Il existe toujours un danger de radicalisation dans la prise de position. Dans le cheminement vers ce vaste monde, qui doit être encouragé par la pensée à caractère écologique, ça ne me fait pas peur de partir en mer avec des partenaires dont l?image n?est pas écarlate. Euronav (partenaire de l?expédition Belgica) assure le transport de containers. Ce n?est pas une belle image. Pourtant je m?en suis tout de suite fait une raison: il est préférable d?aller en enfer afin de pouvoir y agir concrètement que de partir main dans la main avec ceux qui ont déjà tant travaillé dans la bonne direction et où la somme de ce qui reste à faire est bien plus minime. Chercher du sponsoring chez Ecover par exemple reste peu productif. Mais si je parviens à épingler les mauvais, j?agis dans la bonne direction. Même si cela paraît de prime abord négatif.?

D?un autre côté, au cours d?une expédition, il est toujours question de plus que la simple distance, le matériel, le challenge ou les sponsors. J?aurais aimé en savoir plus, notamment au sujet de ce fameux trou noir et sur la force mentale?

Copyright Dixie Dansercoer collection?Tu ne chutes pas comme cela dans un trou noir, mais cela se présente et tu dois y faire face en le remplissant. Autrement tu ne te focaliserais plus que sur ce qui est mauvais: la fatigue, le froid, ? Tu ne verrais plus que ce qui est difficile et ce n?est pas positif. Tu dois entretenir ta matière grise avec de nouvelles pensées, de nouvelles idées et celles-ci proviennent par exemple d?un livre que j?ai fait connaître à mon cercle de proches, de gens qui ont quelque chose à raconter, si besoin est avec humour. Pour ma part, il y a pas mal d?autres choses qui peuvent me tenir occupé. Tu dois savoir que nous prenons avec nous, avec beaucoup de plaisir d?ailleurs, de la musique ou un peu de littérature. C?est un des trucs qui te tient affûté, qui te permet de rester motivé ? Un corps, cela fonctionne; c?est une machine; tu l?as entraîné et si tu l?as bien fait, il tourne rond et fait son job. Par contre, ta matière grise qui est en proie aux démons, elle doit réagir. C?est là que l?entraînement mental entre en ligne de compte pour l?obtention du résultat final. C?est difficile à expliquer, mais c?est paradoxalement le plus important. Si tu alignes des hommes avec les mêmes qualités, ce sont ceux qui ne se sont pas entraînés mentalement qui passent par dessus bord. C?est même scientifiquement prouvé. Il est également important de ne pas être agressif car ton partenaire, la nature dans ce cas-ci, est toujours plus fort. Si tu ne parviens pas à emmener la dimension d?infini en expédition, alors tu commets une erreur. Il y a une série de choses que tu dois simplement accepter pour ce qu?elles sont. Les accepter, c?est tout simplement sain. C?est ainsi que tu peux plus facilement mener la chose à bien avec un certain sentiment de plénitude. Ce n?est pas simple, parce que recevoir des claques demande d?agir et de réagir et parfois même contre une agression, mais cela n?a pas sa place dans ce contexte. Il faut vraiment rester posé dans ce cas-là.?

Ainsi que sur le succès et la chance?

La passion, tu ne peux pas la mettre de côté, tu ne vis qu?une fois...?Une expédition est toujours un succès! Il n?y a pas de raison d?évoquer l?échec. Tu as un objectif et tu dois le présenter en morceaux; il y a la presse ? si bien que soit tu y parviens, soit tu échoues. C?est un point de vue. Toutefois, en tant que tel, un individu, un humain qui entreprend quelque chose dans sa vie et qui s?ouvre aux impressions des Pôles Nord et Sud, cela n?a rien à voir avec le succès ou l?échec. C?est un enrichissement. A chaque fois pareil. Tu deviens plus précis dans tes capacités d?observation, tu discernes beaucoup plus que quelqu?un d?autre qui n?a pas d?yeux pour les subtilités. C?est ça, je pense, ce qui constitue une belle leçon de vie. Parce que tu ouvres également ta perspective à des choses infimes, des choses ?pas vraiment importantes? qui sont paradoxalement nécessaires. Cela doit à chaque fois être terriblement difficile, terriblement horrible? (rires)
Est-ce que j?ai besoin d?expéditions pour me sentir heureux? A ce stade, avec mes qualités affirmées de voyageur des pôles, et avec les opportunités qui me sont offertes, avec mon âge, ? orienter toutes mes occupations vers ce type d?activités, je trouve ça une chance. Cependant je reste convaincu qu?il est pour partie nécessaire que j?utilise tout mon potentiel, pour me sentir bien face à mes qualités et mes ambitions, mon désir d?une existence intense. C?est un choix pondéré. Si les gens suivent leur chemin avec le même entrain, qu?ils jouent du piano, qu?ils fassent de la sculpture ou je ne sais quoi d?autre, ils vivront une vie tout aussi riche. Il y a aura également beaucoup plus de place à la productivité, au lieu de faire ce que la société te dit de faire ou tout simplement d?abandonner tout ton potentiel, tes rêves, tes passions ? La passion, tu ne peux pas la mettre de côté, tu ne vis qu?une fois, et la période clé pour faire ces choses est aussi limitée dans le temps. Il y a beaucoup trop de barrières. Beaucoup trop de panneaux stop qui, si tu t?approches d?eux un peu plus, peuvent être franchis sans encombres. Ce n?est pas difficile. Au final toi seul reste responsable.?

Copyright Dixie Dansercoer collection

Les temps sont durs pour Dixie, et il aura coulé beaucoup d?eau sous les ponts avant qu?il puisse s?envoler vers le pôle Nord en toute quiétude et monotonie. Je ne le retiendrai pas plus longtemps. Peut-être désire-t-il seulement délivrer un message à tous les visiteurs du BCN, grimpeurs, marcheurs et alpinistes?

?Je pense qu?ils ont la même responsabilité quand il s?agit de véhiculer le message de protection de la nature à ceux qui ne connaissent pas le monde de la montagne. Il est louable d?évoquer vers l?extérieur la pensée écologique. Les gens qui ont des occupations différentes ont plus difficile à le faire. Je voudrais partager cela: utilisez vos images, vos aventures, votre esprit d?équipe,? et persuadez les gens à maintenir cette beauté en état.?

Merci pour cette conversation et bonne chance!

Plus d?info:

www.circles.cc

Suivez the Arctic Arc expedition sur:
www.antarctica.org
www.educapoles.org

Suivez ?In the wake of the Belgica? sur:
www.inthewakeofthebelgica.com

Maarten Muylle

 


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