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Chaîne du Tien Shan (Kirgistan)

Ascension de l'arête Ouest du Khan Tengri

20 octobre 2006, 

--- 3 août - 3 septembre 2006 : Ascension de l'arête Ouest du Khan Tengri via la face Sud (7010m) ---

Nous sommes le 3 août et je m'envole avec aeroflo?p? de Moscou à Biskhek, la capitale du Kirgistan. Un hélicoptère me droppe ensuite le 6 août sur la moraine au Sud du glacier Inylchek. Je suis sain et sauf... Lorsque j'aperçois le Khan Tengri de l'hélicoptère pour la première fois il me fait penser à la pyramide parfaite qui, tout le K2 au Pakistan, se démarque gracieusement et effroyablement de tous les pics alentours. Khan Tengri signifie en mongol ?SOUVERAIN DU CIEL?. A 4100m un sentiment oppressant s'empare de moi lorsque, chargé comme un mulet de mon sac à dos de 80 litres rempli à ras bords, j'arrive au Camp de base sur la moraine du glacier. La chaîne de montagnes Tien Shan est impressionnante. Trois carcasses d'hélicoptère comblent le décor, tous trois gisent à une extrémité du glacier et attendent une éventuelle réparation 3 ans après avoir crashé. Bienvenue au Camp de base.

Khan Tengri vu du camp de base

Incertitude

C'est ma première expérience au dessus de 7000m et j'ai pour objectif de gravir le sommet en solo (grimper seul). En principe cela ne devrait pas poser de problèmes techniques du moins si le glacier entre le camp de base et le camp 3 est suffisament safe. L'ascension à partir du camp 3 à 5800 mètres est comparable à celle de la voie normale du Matterhorn (arête Hornli), mais légèrement plus complexe et surtout 2600m plus haut. Les passages les plus difficiles sont pourvus de toutes les cordes fixes nécessaires. Dans l'absolu cela ne me rassure pas le moins du monde puisque la plupart d'entre elles ont au moins 20 ans de service.
Les chutes de neige récentes créent une ambiance subliminale autour du Tien Shan. La chaîne brille comme un diamant au soleil et lorsque je quitte l'hélicoptère j'ai l'impression de voguer sur l'Antarctique. Un monde de glaciers s'impose à mon regard comme je n'ai jamais eu l'occasion d'en voir. Trône devant moi le majestueux Pobeda (ou pic victorieux). Avec ses 7439m il est de loin le sommet le plus élevé de la chaîne Tien Shan. La neige fraîche me pose des soucis car elle cache les nombreuses crevasses formées dans le glacier et apporte son lot de dangers constants. Or je ne prends aucun risque, je me le suis promis.

L'accueil au camp de base est tout sauf ce que l'on peut appeler chaleureux. 90% sont Russes et sont inamicaux, souvent des fermiers ivres qui évitent de cotoyer les 10% d'occidentaux qui participent à la vie locale. Le personnel de cuisine est pire encore mais il n'y a pas à se plaindre de ce côté-là. Au niveau nourriture tout roule. Le docteur du camp est saoul la plupart du temps et a le culot de me dire à mon arrivée que les Belges sont des piètres grimpeurs et qu'il peut lire dans mes yeux que je ne parviendrai pas au sommet. Lorsqu'il en vient à me raconter que je ne survivrais peut-être pas à l'ascension: ?I see dead in your eyes, think about it my friend?, je tourne les talons en me disant que j'aurais bien fait de ne pas séjourner dans ce trou puant la vodka. Si ça ce n'est pas au bon début, qu'est-ce que c'est... Attends un peu, idiot.

Acclimatation

Le camp 1 se trouve à 4250m et est heureusement facile d'accès via le glacier. Malgré la neige fraîche la trace est clairement visible et les crevasses dans le glacier tout autant. Avant de continuer mon chemin vers le camp 2 je prends la peine de dropper quelques repas et une série de bonbonnes de gaz au camp 1. La voie entre le C1 et le C2 semble mortellement dangereuse car ici le risque d'avalanches est constant. Un passage obligatoire en entonnoir conduit les grimpeurs tout droit sur le point de chute des avalanches. Partir très tôt est la règle même si le souvenir des 14 personnes qui, à la saison 2005, avaient démarré vers 4h du matin et avaient été fauchées par une avalanche monstrueuse est durement gravé dans toutes les mémoires. Personne ne survécut au drame. A quatre reprises j'ai dû affronter ce passage dangereux, le coeur accroché à un espoir fébrile. Et à chaque fois j'ai constaté qu'une avalanche avait recouvert la voie d'un lit de neige immaculée. Paradoxalement les avalanches fréquentes ont pour avantage de reboucher les crevasses du glacier d'un paquet de neige, ce qui solidifie les ponts pendant une plus longue durée.

Le no man's land entre le C1 et le C2

Les gigantesques murs de glace sont aussi hauts que des maisons et leur stabilité est toute relative tant et si bien qu'ils peuvent s'écrouler à chaque moment. "Don?t be there when this happends". Comme un être vivant qui respire j'entends la glace qui craque à chacun de mes pas et je sens que je ne suis pas le bienvenu. Entretemps on dénombre déjà une victime. Un Russe qui voulait éviter une avalanche s'est jeté précipitement dans une crevasse et s'est brisé la nuque ce faisant. Le triste événement ne fait pas d'émules car chacun est occupé à sa propre survie. Le combat entre la montagne et l'individu est plus important que le secours à apporter à un grimpeur en détresse, en tous cas cela semble être la règle ici. Lorsqu'un Allemand subit une attaque cardiaque les secours arrivent malheureusement trop tard et une deuxième personne périt à 6600m. Les drames mettent ma confiance à rude épreuve mais seul, je mords sur ma chique et je parviens finalement au C3 à 5800m. Plus de place pour ma tente... Heureusement que j'ai ma pelle à neige avec moi et je creuse un abri qui devrait me protéger du vent et des températures glaciales. Après une nuit d'un froid cinglant je redescends au camp de base pour quelques jours de repos avant l'assaut final. Mon acclimatation est en cours et se construit tout doucement comme suit: 2 jours au camp de base + promenades, 1 jour au camp 1, 2 jours au camp de base pour cause de mauvais temps, 1 jour au camp 1, 1 jour au camp 2, 2 jours au camp 3 + repérage jusqu'à 6200m, 3 jours de repos au camp de base.

L'assaut

Des grimpeurs de retour de là-haut m'indiquent pendant ma période de repos que les ponts du glacier sont instables. C'est pourquoi je décide de louer un guide avec lequel je pourrai passer encordé entre les camps 1 et 2. Au moment où je quitte le camp de base après 3 jours de repos avec Simon, le malheureux chute malencontreusement dans un trou rempli d'eau glacée à -10°C. Complètement trempé il parvient à se sortir tant bien que mal mais j'en conclus rapidement que nous ne pourrons pas aller plus loin dans ces conditions. Simon gèle à vue d'oeil et nous montons notre tente en toute hâte. Comme un petit chiot à peine mis au monde il est complètement nu dans la tente et essaie de réchauffer ses mains et ses pieds au moyen du bec à gaz. Je lui conseille de plonger rapidement dans son sac de couchage relativement sec. Quand je lui demande si nous pourrons continuer il me glisse, ?No problem, just a moment?. Mais je sais qu'avec les vêtements aussi mouillés il ne pourra pas aller plus loin et je lui conseille de redescendre au camp de base pour récupérer des vêtements frais. Après une dizaine de thank you il prend enfin le chemin du camp de base et un jour plus tard nous nous engageons ensemble vers le camp 3.
De lui-même il n'aurait jamais accepté que continuer avec des vêtements mouillés sous ces températures était de soi impossible. Comportement machiste typiquement russe. Dans le même registre j'ai averti un Russe que son nez était complètement gelé par le froid. Sa réponse: "Not my problem, doctors problem", ou vu trois d'entre eux manger ensemble sur un pont de glace surplombant une crevasse béante. Aucun problème pour eux non plus...
Au C3 il y a maintenant de la place pour ma tente Bibler de 2kg, mais à mon grand étonnement mon dépôt de nourriture et de gaz a été proprement pillé par d'autres grimpeurs. Faché et indigné, je me plie au fait accompli même si ma conscience me dit que les grimpeurs ne devraient pas en arriver là. Heureusement Simon dispose d'une bouteille de gaz en surplus.

Camp 2 (5200m)

La nuit qui précède l'ascension finale est rythmées au son des chutes de neige et je me prends soudain à haïr le temps exécrable du Tien Shan. Quand Simon et moi démarrons vers 4h il fait un froid piquant mais le ciel est sans nuages. Il y a au moins 30cm de poudreuse et l'accès à l'arête Ouest est plus que pénible. Le vent abondant et l'inclinaison de l'arête font en sorte que la voie est relativement dégagée de toute neige fraîche et à partir d'ici (6000m) nous avançons assez rapidement. Ici et là nous débusquons quelques cordes utilisables à nos risques et périls mais je constate vite que la plupart d'entre elles ne peuvent plus être appelées cordes. Je grimpe donc la plupart du temps sans aide. L'air devient de plus en plus rare et l'escalade semble sans fin. Cependant malgré une mauvaise nuit de repos et peu de nourriture je me sens en pleine forme. A 6400m nous passons le camp 4 qui peut accueillir tout au plus 2 petites tentes. Ceux qui commencent d'ici ont moins de dénivelé dans les jambes mais le camp reste très faiblement protégé contre le vent parfois rude, tellement même que les nuits passent très difficilement. Dormir à cette altitude est d'ailleurs très peu fréquent. A 6600m nous entamons une longue traversée avant de parvenir à un couloir escarpé qui mène à la crête du sommet à 6850m. Pour moi il s'agit de la partie la plus dangereuse de toute l'ascension. Ici mieux vaut ne pas faire de vieux os car les cordes sont de très mauvaises qualités. Un peu plus tard j'aperçois dans le lointain un obstacle d'acier sur une étendue plate qui ne peut être que le sommet. Du moins je l'espère... Et en effet selon mon altimètre il ne reste plus que 70 mètres à gravir. Avancer de 10 mètres, reprendre sa respiration, recommencer. Les derniers mètres ressemblent à des kilomètres. Et le 21 août à 12h30 j'atteins le sommet du Khan Tengri 7010m.

Le sommet 7010m

La vue est littéralement à couper le souffle, mais nous ne pouvons pas en profiter très longtemps à cause du vent glacial. Descendre au plus vite est le message mais je me rends compte rapidement que mon énergie me manque. La descente est pour moi encore plus pénible que la montée vu la fatigue et d'un coup je me sens bizarre. C'est comme si je ne sentais plus mon corps et sans l'avoir vraiment prévu, je me retrouve assis sur un morceau de rocher. Soudain je réalise où je suis. Le temps et l'espace n'existent vraisemblablement plus et curieusement j'en tire un agréable sentiment de plaisir. Ce phénomène se répète une nouvelle fois et est probablement dû à un manque d'oxygène dans le cerveau. A cette altitude vous ne profitez plus que de 30% de l'oxygène disponible au niveau de la mer. Le cerveau peut ainsi rapidement manquer d'oxygène et cela a pour conséquences des hallucinations. Finalement je parviens à les maîtriser et j'arrive complètement achevé au Camp 3.

Retour vers le camp de base

Je suis trop fatigué pour faire fondre de la neige et sans que rien ne vienne combler la faim qui me tiraille je fonds dans le sommeil. Une erreur que je regretterai dans les jours qui ont suivi. Ce matin à 4h nous devons à nouveau nous préparer pour rejoindre le camp de base et je n'apprécie guère. Sans eau et avec de grosses ampoules aux pieds je m'engage dans la longue route vers le bas. Lorsque j'arrive, je suis accueilli très chaleureusement par un groupe de Russes qui m'offre en plus de leurs félicitations débordantes une bouteille de coca d'1 litre et demi en cadeau. Mon Dieu. Je ne m'étais pas du tout attendu à pareil accueil de la part de ces Russes aussi inamicaux. Même le docteur si antipathique me prend la main et avec un clin d'oeil et une tape sur l'épaule je lui glisse, "I?m still alive?. Entretemps j'apprends que deux grimpeurs victimes d'oedème pulmonaire (eau dans les poumons) ont été évacué par hélicoptère. Un Mexicain a cassé son pied suite à une chute et deux Iraniens réapparaissent au camp de base après avoir été portés disparus pendant 48 heures.
70% des grimpeurs russes parviennent au sommet alors que seulement 30% des Occidentaux ont la chance d'accrocher le Khan Tengri à leur palmarès. A quoi cela est-il dû? Difficile à dire. Je pencherais personnellement sur la propension des Russes à prendre plus de risques pendant l'ascension, mais cela ne posera plus de problèmes pour ce qui me concerne. JE L'AI EU.

La chaîne de montagnes du Tien Shan n'a qu'à bien se tenir. Je suis prêt!

Guido

 


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