Falaise
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2004 l?année du trad

Première partie

23 mai 2005, 

Un soir comme à l?accoutumée, je passe prendre un verre à la salle de Top Rock Liège, j?y retrouve Jehanne, Jeff Roba et Nicolas Vergara. D?entrée de jeu, Jehanne me demande si je suis intéressé par un trip grimpant au Wadi Rum en Jordanie. J?y réponds sincèrement sans savoir pourquoi par un OUI enthousiasmé et irrévocable puis me pose aussitôt la question du c?est où est c?est quoi ? Voilà le point de départ de notre aventure bédouine en Jordanie qui va tant me marquer. Le truc c?est que je n?ai plus grimpé en grande voie depuis 6 ans et que je n?avais jamais grimpé en terrain d?aventure avec ces accessoires de jouissance sadique, j?ai nommé les friends et autre nuts.

Me voici donc 6 mois avant le départ avec 1 billet d?avion pour le Wadi Rum et aucune expérience sur ces maudits coinceurs en tout genre. Après avoir récolté du matos à droite à gauche, je me retrouve engouffré dans les fissures du Palatinat avec toute la quincaillerie. Je me suis très vite trouvé confronter au problème du mousquetonnage des broches tout en plaçant mes propres protections (en Belgique, il n?y a aucune voie entièrement vierge de protections pré-placées). La question a été très vite élucidée: hors de question de mousquetonner les broches.
En effet, mousquetonner une broche où l?on peut pendre 3 éléphants fait disparaître l?engagement mental vis-à-vis de soi et de la voie. C?est comme souscrire une assurance omnium pour une voiture. Grimper sur coinceur signifie prendre le risque que les gardes fous que je place tout au long de la voie soient mauvais. La seule solution est de me faire confiance ici et maintenant pour réussir. La résistance des coinceurs en cas de chute devient une roulette russe mais cela ouvre la voie à une forme de méditation grimpante. Cela veut dire entrer à l?intérieur de moi pour y maîtriser tous les muscles et la stabilité du mental pour le mettre en harmonie avec les prises qui se trouvent devant moi. La progression commence.
Pour moi qui suis uniquement un grimpeur de falaise sportive, je comprends très vite toute l?importance et les enjeux de l?escalade en placant mes propres protections. Mon engagement et ma pratique de l?escalade prennent une toute autre dimension. Depuis les 15 années que j?ai passées sur les falaises à la recherche du dépassement de soi à travers les cotations, jamais je n?avais ressenti un tel niveau d?absolu. C?est comme si les cotés pile et face d?une pièce se retrouvaient enfin.
Je me rends compte qu?une nouvelle dimension apparaît : celle du contact entre soi et l?extérieur. Mon engagement change du tout au tout car la chute qui pendant 15 ans fut mon alliée pour progresser devient ma pire ennemie. Une ennemie positive car elle m?apprendra bien plus sur moi en 6 mois qu?en 15 ans. C?est la que réside toute la nuance.

De retour du Palatinat, je fonce directement à Pepinster afin de grimper en artif pour la première fois de ma vie dans mon vieil ami Le vieux boucau. Je tiens à préciser que nous apprenons en autodidacte. Il n?y a pas eu, et je le regrette, pour beaucoup de jeunes grimpeurs de transfert de connaissances au niveau de l?escalade traditionnelle entre les vieux de la vieille et les grimpeurs de batteries comme je m?amuse à les appeler (c' est à dire grimpeurs de salle). La majeure partie des jeunes grimpeurs actuels, moi y compris, a débuté en salle loin des falaises et donc des gens qui les faisaient vivre. Un vide d?une dizaine d?années s?est créé correspondant à l?ouverture des salles dans le pays. Il y a maintenant de plus en plus de jeunes qui sont motivés pour s?investir tant en escalade sportive qu?en traditionnelle.

Me revoici en train de placer un petit coinceur câblé du bout du bras à la base de la lèvre de ce célèbre bloc narguant les lois de la gravité à Pépinster, et me disant qu?une chute sur ce coinceur n?est pas du tout envisageable. Quelques mètres plus haut, transférant mon poids d?un étrier à l?autre, deux bruits secs se font entendre, mes 2 coinceurs sautent l?un après l?autre et m?envoient dans une chute accompagnée d?un cri venant du plus profond de mes tripes puis suivi de grand éclat de rire de Jehanne et Jeff. Leur rire me ramène à la réalité, ma concentration m?avait fait oublier tout ce qui m?entourrait jusqu'à mon assureur. En relevant la tête, je m?aperçois que ce coinceur qui ne m?inspirait aucune confiance a tenu ce qui m?a évité d?être accueilli à bras ouverts par notre bonne vielle terre. Je reprends ma progression en ayant pris soin de mousquetonner une plaquette. Arrivé au relais, je me dis que je ne suis pas prêt à refaire confiance à de petit bout d?acier pour progresser et que mes mains seront bien plus aptes à me conduire à bon port. Ma rencontre avec l?artif fût brève et intense... Mon inexpérience a joué contre moi. Peut-être aurais-je du grimper avec quelqu?un d'expérimenté qui aurait pût me guider? D?un autre côté, c?est en faisant les choses sans attendre que j?ai acquis de l?expérience. Je n?aurais pas toujours quelqu?un derrière moi pour me dire comment faire.

Après cet épisode, je me suis mis à revisiter les massifs belges guettant la moindre fissure en quête de sensations. Jehanne m?ayant même surnommé le psychopathe du placement !
Bien sûr, de pus en plus, rien que l?idée de placer mes propres coinceurs crée chez moi une grande excitation. Dès le premier centimètre, le programme est lancé, ma concentration grandit, mon ouie baisse pour me recentrer uniquement sur mes protections et ma progression. Je ne pense plus qu?à trouver de bonnes prises de pieds afin d?économiser mes forces pour être le plus loin possible de la chute. Plus les voies s?accumulent et plus je me sens indestructible. Je vais de victoire en victoire, je jubile d?enchaîner des pas difficiles et expo, de faire relais où le doute de tout arracher est présent en permanence. Mon ignorance de la résistance de la roche et des coinceurs crée ma peur, ah ! Je suis loin des relais sur chaîne ! Je recherche de plus en plus les moments où la marge de man?uvre se rétrécit sur des points où je n?ai aucune envie de tester la résistance. Je me lance dans des voies en étant bien conscient que pour certain mouvement il n?y aura pas d?échappatoire. La chute ? Quelle chute ? Mes avant-bras tétanisent ? C?est une vue de l?esprit, une illusion. Recentre-toi sur tes pieds, repose ton poids au maximum sur eux et reprend l?ascension. Voilà mon état d?esprit après quelques semaines de grimpe sur coinceurs. Surtout qu?en Belgique les voies ne comportent bien souvent qu?une seule longueur donc la chute au sol est presque toujours omniprésente. Si jamais je tombe et qu?un coinceur saute,... Je ne préfère pas y penser puis, je me dis « c?était chaud hein ! » avec un grand sourire. Bref je commence à ressentir le solo, ma confiance en moi grandit de plus en plus. J?ai envie de faire les taches rouges en solo et pouvoir me dire au relais « c?était chaud hein ! ».

Au mois d?août, sur les 4 de départ, il ne reste plus que Jehanne et moi pour l?aventure au Wadi. On décide de continuer de se former au trad (escalade traditionnelle) à Chamonix. Je me retrouve au refuge de la Charpoua au pied des Drus après 10 ans d?absence en montagne. C?est un beau challenge que d?emmener pour la première fois Jehanne en montagne, moi qui n?ai que des vieux souvenirs de ce que j?ai appris avec des guides. La météo est bonne et sur les conseils d?un ami, on décide de faire la voie du druide sur l?arête SW du moine qui est une voie de 300 mètres ED 6b obl. L?escalade y est fantastique, le rocher est super solide comparé au calcaire belge alternant fissure, dièdre, dalle, rétablissement. Pour finir par une splendide fine fissure en 6c où là aussi 2 mouvements de plus du même genre et le flying Jean-Louis de la vire des bêtes à Freyr aurait fait son come-back au grand galop. Mon meilleur souvenir dans cette voie reste un refus d?obstacle de Jehanne face à un dulfer improtégeable sur 8 mètres jusqu'à une lunule suive d?une arche puis d?un rétablissement pour passer un toit. Enervé d?arrêter notre progression en alterné, je récupère le matos et repars en tête. Les 30 mètres à faire durent moins de 5 minutes et je place 3 protections à tout casser. Arrivé au relais, je me rends compte que j?y ai pris un pied d?enfer et suis convaincu que cette longueur ne convenait pas pour Jehanne. J?apprends à suivre et à respecter l?instinct des gens qui m?entourent ainsi que le mien. Tout chose paraissant négative ou contraire à ce que j?ai prévu son toujours pour un mieux. Le lendemain, la météo est mauvaise et on a juste le temps de faire 2 longueurs aux flammes de pierres puis de rentrer en vitesse au montenvers. Notre mini-trip de 4 jours s?arrête là, nous n?irons pas aux Aiguilles de l?envers comme prévu. Je dois aussi remercier toutes les personnes qui se sont trouvées par « hasard » sur notre route tel que l?ouvreur de la voie, François Pallandre qui fût de bon conseil le soir avant le départ de refuge; le gardien du refuge qui est venu nous rechercher avec une frontale dans le chemin du retour de la voie et un randonneur d?une bonne soixantaine d?années pour nous avoir fait traverser la mer de glace sous la pluie en un éclair.
Comme d?habitude, le trad. m?a pompé le cerveau et nous voici partis vers Ceüse et les Gillardes loin des camalots. Je dois dire que grimper sur des broches scellées  avec 10 dégaines au cul est une vrai partie de rigolade, des vacances quoi!

A suivre!

Jean-Louis


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