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Voyage inattendu en Iran

Voyage inattendu en Iran

Formation d'arbitre au Moyen-Orient

18 août 2010, 

Janvier 2010. Je reçois une demande inattendue pour aller donner un cours d'arbitrage de compétition d'escalade en Iran. Cette demande ne m'étonne pas vraiment. Je suis président de la commission règlement de l'IFSC et un de ses membres est iranien.
Coup de pouce du destin, une formation d'ouvreur international se tiendra au même moment. Jérôme De Boeck, fraîchement promu ouvreur international et membre de l'équipe d'ouvreurs BCCC, est le mieux placé pour m'accompagner.

Obtenir un visa pour l'Iran n'est pas chose facile. Nous attendons de recevoir une invitation officielle en provenance d'Iran contenant un “visa application number”. Sans ce numéro, pas de visa. Et sans visa, pas question d'acheter un ticket d'avion. Lorsqu'on s'est rendu compte que l'ambassade n'ouvrait ses portes que deux fois par semaine (une heure le lundi et une heure le jeudi), c'est un véritable contre-la-montre qui a commencé… : nous avons finalement reçu nos visas le lundi après-midi (il semble qu'on ait reçu un mauvais numéro), acheté nos tickets une heure après et décollé 2 jours plus tard (mercredi) vers l'Iran... Bref, du last minute...

Nous arrivons à 3 heures du matin à Téhéran. C'est notre hôte et le président de la fédération iranienne de montagne qui nous accueillent en personne. Selon le planning, j'aurais dû profiter d'une journée de repos après mon arrivée, mais, hasard du calendrier, le programme a semble-t-il changé. Conséquence, je me retrouve quelques heures plus tard (6h du matin heure belge) devant une vingtaine de candidats enthousiastes. Les femmes (avec un voile car en Iran, elles ne sortent pas sans) à gauche de l'auditoire, les hommes à droite. Le projecteur qu'on m'avait promis n'est pas encore là tant et si bien que je ne peux pas me servir de mes powerpoints. Début de formation improvisé donc. Je commence par poser des questions aux candidats et cela détend l'atmosphère. Il apparaît rapidement que les Iraniens maîtrisent très bien les règlements internationaux.

J'ai l'habitude d'enseigner aux infirmières (principalement féminines) et je pose donc involontairement une question à une des femmes présentes dans l'assemblée. Immédiatement: oups, qu'est-ce que j'ai fait; ce n'est probablement pas autorisé. Mais j'ai appris peu après que cela ne posait pas de problème. J'ai même pu répondre à quelques femmes qui venaient spontanément à ma rencontre pendant les pauses café.

Lorsque le projecteur fait son apparition, je passe aux powerpoints et aux petits clips vidéos. Cela fait longtemps que je collectionne des films de situations intéressantes survenues en compétition internationale. Elles orientent la discussion. Ce que je ne savais pas c'est que les femmes peuvent voir les hommes faire du sport mais pas le contraire. A la télévision, pas d'image de sport féminin. De fait, Roger Federer est connu mais les Iraniens n'ont encore jamais entendu parler de Kim ou Justine. Cela a des conséquences, notamment dans les salles d'escalade où les hommes s'entraînent à des heures différentes des femmes.Toutes les compétitions féminines se passent à huit clos avec pour seules juges des femmes. Pour l'escalade, les voies peuvent être ouvertes par des hommes mais ils sont “persona non grata” une fois que la compétition à débuter.
Souci donc quand j'ai montré des images de grimpeuses dans mes clips. C'est normalement “not done”, mais personne n'a rien dit.

En Belgique, la formation de juge arbitre est gratuite mais en Iran les participants (minimum 25 ans) doivent débourser la coquette somme de 100 Euro pour suivre le cours (sachant que le revenu moyen d'un Iranien est bien inférieur à celui d'un Belge). Pour la formation d'ouvreur, le montant à payer est encore supérieur. Jérôme avait bien préparé le cours de son côté et ses élèves furent très enthousiastes. Après coup, nous avons appris que leur cours précédent était purement théorique (2 jours). Le contraste avec ce que Jérôme leur proposait fut tout bonnement saisissant puisqu'après une petite introduction tout le monde était déjà pendu à une corde.

Jérôme et moi avons décidé d'organiser une simulation de compétition afin que les arbitres et ouvreurs puissent s'exercer. Un véritable pavé dans la marre. Ce sont surtout les participantes féminines qui furent enthousiastes. Les responsables, un peu nerveux, me demandent combien de temps durera la simulation. Je ne comprends pas tout de suite ce qu'ils veulent. Quand ils m'expliquent enfin que la police des moeurs peut débarquer à tout instant, tout me paraît plus clair. Mélanger des arbitres masculins et féminins n'est pas du tout autorisé. Au final la simulation a quand même lieu mais il ne m'étonnerait pas qu'ils aient fermé les accès à la salle.

Vous serez peut-être étonné de lire qu'en Iran, ils disposent d'un matériel d'escalade et d'une infrastructure up to date. En ce qui concerne le niveau, celui des hommes n'est pas à sous-estimer. Le niveau des femmes est quant à lui inférieur du fait qu'elles ne peuvent pas être entraînées par des hommes.

Le dernier jour, quelques grimpeurs m'emmènent dans un secteur à deux heures de voiture de Téhéran. Malgré la fatigue emmagasinée je profite à fond de la seule voie que j'ai pu grimper. Je me dis au fond de moi: “tu es en train de grimper en Iran…” Ce n'est pas tous les jours que ça arrive.

En falaise, l'ambiance est détendue et je me prends à poser quelques questions:
Moi: "Dis-moi Mohammed, quand vous êtes en falaise, est-ce que les femmes et les hommes grimpent aussi séparément? "
Mohammed: “Non, non… ici nous grimpons ensemble…”
Moi: “Et… les femmes grimpent en voile?”
Mohammed: (rires…) “Pas vraiment... Personne ne le voit ici…"

Wim Verhoeven

(Article paru dans le magazine du KBF de juillet 2010)


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