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Ascension de la Dent du Géant

8 novembre 2006, 

Cela se passe au retour de ?Mille et une pattes?, l'échauffement classique en 12 longueurs sur les Aiguilles Rouges. Les conditions climatiques pour jeudi sont excellentes. Dis-moi Thierry, on s'attaque demain à la Dent du Géant?!

Tôt le matin nous démontons la tente et empruntons le tunnel du Mont-Blanc de Chamonix direction Courmayeur. Le soleil est radieux. Nous achetons sur place une paire de crampons pour moi, notre petit-déjeuner, de quoi luncher ainsi que le ticket aller-retour pour le téléphérique vers la Pointe Helbronner. Prochaine étape le refuge Torino où nous laissons chacun un kitbag derrière nous et vers 11h nous attaquons le glacier.

Pic: Philippe Ceulemans

Tu avais raison Denis, la neige de septembre a fait son apparition. En temps que seule cordée du coin, nous sommes bien obligés de faire la trace. Tant pis... ça réchauffe le corps plus vite. Plus la pente raidit plus on le sent. Les premiers vrais obstacles prennent la forme de blocs formés par les récentes avalanches ainsi que par deux crevasses dans le glacier. Entretemps le soleil est à l'aplomb et la neige molit tant et si bien que nous nous trouvons maintenant en terrain dangereux. A franchement parler je n'ose plus traverser à gauche vers la goulotte qui forme la voie la plus logique pour le sommet. Thierry conseille de s'orienter vers la droite via l'amas rocheux. L'escalade commence, pas très compliquée ici, mais les rochers sont bien moins fixes que prévu. De plus, à ce stade, nous n'avons pas encore retiré notre matériel d'escalade de nos sacs à dos. Nous continuons donc, à même des cailloux branlants et sur une fine couche de neige. Cette partie non assurée de 100 mètres me procure une dose de stress carabinée. Arrivés en haut à côté d'un gendarme, le terrain devient mixte, composé de neige douce et moins escarpé. L'altitude se fait maintenant sentir: deux grimpeurs peu acclimatés du plat pays en route vers le sommet d'un quatre mille... Nous ne sommes cependant qu'à la moitié du chemin vers le pied de la Dent du Géant et l'après-midi avance à grands pas. Par conséquent, on pique-nique et puis ce sera la descente. Sur la neige aplatie par nos sacs à dos les sandwiches secs au fromage italien accompagné d'une vue grandiose sur le massif du Mont-Blanc sont un vrai régal.

La descente n'est pas plus simple, surtout dans cette neige molle et traître. Parvenus au gendarme nous prenons la décision de faire un rappel par la goulotte.
Après le premier rappel nos cordes se coincent derrière le becquet. Heureusement Thierry parvient à les récupérer en les tirant d'un autre angle. Le deuxième rappel nous mène juste au dessus de la crevasse supérieure du glacier. Ouf, reste plus qu'à rejoindre le refuge. C'est à ce moment que la deuxième crevasse aspire les jambes de Thierry. Dans un effort digne des meilleurs nageurs de crawl il parvient à se maintenir et à éviter la chute. Pantelant j'opte pour une traversée à l'écart, avec succès. Juste avant les Aiguilles Marbrées nous rencontrons une tente solitaire sur le glacier. La cordée que nous rencontrons se prépare à attaquer l'Arête de Rochefort pour demain. Ils pourront profiter en grande partie de la trace que nous avons laissée.

19h le refuge, juste à temps pour dîner. Nous avons même droit à un emplacement non réservé. Splendide! Le bulletin météo promet encore des conditions idéales pour le lendemain. Avec un sérieux doute nous acceptons toutefois de tenter une nouvelle fois l'ascension.

Vendredi, petit-déjeuner à 5h. Vers 6h nous branchons nos frontales et suivons la trace laissée la veille. Beaucoup plus loin nous apercevons deux traits dans la nuit: les deux types en direction de Rochefort. La neige est par chance beaucoup plus ferme qu'hier et se maintient beaucoup plus au dessus des crevasses. Nous commençons la goulotte à l'aurore. L'assurage se fait avec des sangles équipées de dégaines et de temps en temps un friend. Dans ce terrain mixte dont la neige nous inspire confiance, nous avançons à bonne allure le plus souvent protégés par un ou plusieurs becquets. Génial, c'est tout ce que nous attendions. Le point culminant de la veille est rapidement atteint. Maintenant c'est à nous de profiter du travail de sappe de l'autre cordée. A la ?Salle à manger? nous rejoignons l'autre paire. Ils commencent leur descente de l'Arête de Rochefort. L'Aiguille de Rochefort elle-même était ingrimpable pour cause de verglas. Après cette courte pause nous sommes de nouveau seuls sur la montagne. Complètement isolés dans l'immensité du massif. De notre endroit de pique-nique un panorama exceptionnel sur les glaciers s'offre à nous, sommets de granit ou autres parois verticales - le plus beau jardin d'enfants d'Europe, mais aussi le plus dangeureux.

Pic: Philippe Ceulemans

La tour finale de la Dent du Géant trône maintenant 200 mètres au dessus de nos têtes. Un sentiment d'allégresse nous parcourt les veines mais nous restons sur nos gardes: qu'est-ce qui nous attend à ce stade, est-ce que nous allons réussir, qu'en est-il de la descente? Une foule de questions nous accable? Nous vérifions une dernière fois le topo de salon. Suite à un départ en last minute nous n'avons pas pu imprimer toutes les pages nécessaires. Nous avons donc apporté la totale. OK, encore légèrement traverser à gauche et c'est parti pour de l'escalade pure en rocher. Nous dégrafons guettes, crampons et chaussures de montagne et enfilons nos chaussons. Thierry laisse soudain tomber sa bouteille thermos; celle-là, on ne la retrouvera pas. La première longueur courte est pour moi. Pas trop difficile et heureusement bien équipée, mais le sentiment de grimper en haute altitude est total: des centaines de mètres nous séparent du glacier en contrebas.

La question se pose maintenant de la direction à prendre: tout droit ou un peu à gauche? De temps et temps une cordelette ou une vieille sangle nous indiquent le chemin mais est-ce que l'itinéraire le plus facile et le plus protégé part tout droit vers le haut? J'aperçois quelque chose briller dans le lointain. Cela doit être le prochain relais. A demi-rassuré Thierry démarre. Il trouve ici et là un solide piton qu'il complète avec des sangles et des friends pour se rassurer. Nous arrivons à une terrasse en dessous des dalles Burgener bien connues. Celles-ci sont équipées de cordes fixes, épaisses et blanches. Mais nous voulons grimper la Dent en libre... C'est à nouveau mon tour de grimper. Les premiers mètres sur la terrasse sont couverts de neige. Dans l'espoir de maintenir mes pieds au sec je bifurque légèrement à droite et continue via une belle fissure, un friend, un nut. Traverser un peu vers la gauche et je me retrouve à nouveau dans la voie. Ici les pitons tiennent fermement mais sont plutôt espacés.

La fissure qui suit est remplie de neige et c'est Thierry qui a la chance de grimper ce passage engagé: de la dalle sur petites réglettes.  
Pour ma part j'ai droit à une splendide ligne raide parsemée de bonnes prises et complètée par un dièdre éprouvant. Cela semble en tous cas plus dur que du quatre. La suite est constituée de longueurs plus faciles vers l'arête sommitale. La traversée de la neige est maintenant indispensable et nos pieds s'en trouvent trempés. Une petite échelle de corde sert d'appoint dans les derniers mètres. Le sommet est là qui nous attend. Les rayons du soleil nous éblouissent mais nous l'avons atteint. Enfin nous y sommes, vive la Dent du Géant!

Nous nous accordons peu de temps pour profiter du magnifique paysage alentours: des nuages menacent à l'horizon et une très longue descente nous attend. Nous désescaladons les deux longueurs supérieures en utilisant enfin les cordes fixes qui en pendent. La suite se fait en rappel. Des petits flocons de neige commencent à tomber mais le vent reste faible. Le dernier rappel nous mène vers l'endroit où nous avions laissé notre matériel. J'aperçois le thermos de Thierry un peu plus bas. D'une façon ou d'une autre il doit se trouver sur une terrasse en contrebas mais nous n'avons malheureusement plus le temps d'aller le récupérer. Nous réchauffons nos pieds quelque peu et remettons nos chaussures. La descente et la désescalade sont particulièrement éreintantes dans la neige devenue molle. C'est pourquoi nous continuons à nous assurer mutuellement un maximum.

Sang & Thierry

Il n'est plus question de tomber! Le crépuscule nous joue des tours et il devient difficile de retrouver notre chemin: des micro-avalanches ont visiblement caché la trace. Après quelques moments assez chauds nous parvenons à notre gendarme surplombant la goulotte. Je me sens éreinté. Nous optons à nouveau pour deux rappels en lieu et place de la désescalade. Après le premier nous laissons une vieille sangle et un maillon rapide sur place histoire de récupérer nos cordes sans problème. La nuit ne nous attend pas. Au deuxième rappel je peste contre la corde qui s'emmêle de toutes parts en jouant les spaghettis mais nous sommes sains et saufs, à l'abri au pied de la montagne. Un rire de fatigue nous submerge et nous exultons: c'est fait! Cette fois-ci les grosses crevasses dans le glacier ne nous poseront plus aucun souci.

Le retour au refuge est la goutte qui fait déborder le vase. A quatre reprises je dois demander à Thierry de faire halte. Je me laisse tomber sur mes genoux, plante le piolet dans la neige, me courbe sur lui et me repose un tant soit peu. A genoux, piolet dans la neige, bras sur le piolet, tête sur les bras et inspiration profonde. Tout ça est bien beau, mais le glacier n'est pas le meilleur endroit pour divaguer à ce point. Donc en route vers Torino, même si chaque pas entraîne son lot de souffrances. Nous arrivons à 22h. Tout le monde ? les deux gardiennes et trois alpinistes ? dort déjà. Nous avons presque doublé le délai prescrit dans le topo du salon. Enfin les toilettes. Manger et boire. Je parviens à peine à avaler une demi-assiette de soupe accompagnée d'eau en quantité. La fatigue m'assaille. Thierry pense à un coup de soleil. En effet, peut-être que mes lunettes 1500m sont trop légères pour une exposition pareille.

A moins que ce ne soit le contrecoup des deux semaines de voyage intense qui ont précédé l'ascension? Enfin, dans tous les cas, une expérience magnifique pour une escalade éprouvante. Nous avons escaladé la Dent du Géant en libre et complètement autonomes!

Thierry, qu'est-ce qu'on fait demain?

Sang De Brabander et Thierry Eltges

 


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